Comment ça se fait ?
(Les Photos-films)
Il se trouve que parfois advient une connivence1, une osmose avec ce qui nous entoure. Ce que l’on voit semble étranger à nos habitudes.
Si, à ce moment, j’ai un petit appareil photographique sur moi, il arrive que je m’en serve pour ponctuer cette relation. Elle perdure même si je me déplace.
En ce sens, je ne vais pas chercher à saisir une image mais c’est bien le „monde” qui vient à moi. Il m’apparaît dans sa perfection : je n’ai rien à en retrancher (cadrer), rien à embellir (régler), rien à améliorer (retoucher). L’appareil me sert à garder le lien, à rythmer mon enthousiasme. Il n’est jamais entre mes yeux et ce que je per- çois. Il est dans ma main comme une autre peau sensible. Pour simplifier il y a au moins deux points de vue, celui de mes yeux, celui de ma main.
Je ne vois donc pas exactement ce qui arrive à mon appareil... Mais nous sommes ensemble.
Je prends un nombre indéterminé de photographies, au moins 2.
Ma main se déplace avec l’appareil, elle s’ouvre vers ce qui lui arrive. Parfois je marche en même temps que j’ouvre l’obturateur. De ce fait la pellicule est impressionnée dans un mouvement. Ici, le mouvement = flou (ce n’est pas un procédé).
Apparaîtra plus tard, en image, des moments de cette conscience (entre les mises au point du regard).
(J’essaye de décrire ici ce que je fais, ce que je fais n’est pas le résultat de ce que je décris).
Ensuite ces images passent un certain temps dans une seconde „chambre noire” une crypte où elles sont „éteintes”. Cela peut durer plus de 30 ans.
Quand je me souviens du moment passé (décrit plus haut) je les regarde et j’en efface peu à peu.
Parfois il n’en reste rien.
Parfois il en reste, alors mon lien avec le moment passé perdure. Ce monde passé est donc maintenant présent.
Je les dispose par 2 ou par 3.
Ainsi, on ne peut pas focaliser son regard sur une seule image.
Je propose un entre deux qui conduit à ne pas trop mémoriser ces images.
De cette manière je propose un élan vers d’autres connivences, d’autres moments d’osmose à vivre. C’est le futur.
Lors d’une discussion, on m’a parlé du lien entre ce que je fais et le Zen. Je suis allé pratiquer mais de manière maladroite.
Le parallèle est assez clair.
Mon travail photographique est bien du domaine d’une pratique, que l’on peut mettre en rapport avec le zen. Cela m’a éclairé. Comme le „satori” ou plutôt le terme „kensho”2.
Cela me fait du bien, cela peut être partagé ; alors, aller vers mes photo-films est plus évident !
(1) „La connivence est un mot d’autant plus étrange qu’il est extraordinairement précis. Conivere (qui veut dire clignement de paupière en latin), ce n’est pas le clin d’oeil, le clin d’oeil d’une seule paupière, le signe brusque d’une reconnaissance” ... „Conivere veut dire abaisser les paupières ensemble, de façon préméditée, de façon appuyée. Ce signe de peau concernant le regard et n’en offrant que les paupières, c’est le signe de l’en- tente tacite „.
Pascal Quignard dans Vie secrète.
Une autre étymologie parle de „laisser faire”...
(2) Le „kensho” fait part d’une intuition, d’une compréhension de la réalité. „L’expérience illumination” est tautologique : „Le kensho est l’expérience de kensho”.
Certain peuvent en dire qu’elle est „pure, immédiate, intuitive, non rationnelle, ineffable et non proposition- nelle.
Dans la culture judéo-chrétienne on pourrait faire un lien avec la Transfiguration ou l’Apocalypse au sens originel de „dévoilement, révélation”.